L'article est paru dans le quotidien Le Populaire le 9 mars 1948.
Belle et virulente diatribe de Léon Blum, à l'issue du discours de Compiègne du général De Gaulle, dénonçant ses manœuvres vers un « Etat fort ». Il dresse un tableau plein d'espérance de la réconciliation allemande, la construction européenne, ainsi que du plan Marshall bientôt ratifié - dont il avait été le grand négociateur.
Le 7 mars 1948, le général qui venait de fonder le Rassemblement du Peuple Français, fut invité par le nouveau maire Jean Legendre, rallié au RPF. A un moment charnière de tensions internationales, devant plusieurs dizaines de milliers de personnes rassemblées place du château, De Gaulle appela les Français à se rassembler pour refonder la IVe République et les pays libres à s'unir contre le communisme, au lendemain du « coup de Prague ». Restant écarté du pouvoir, il entama alors sa traversée du désert jusqu'à son retour en 1958, à la faveur de la crise algérienne, où sombra la faible IVe République. Ayant mis en place les fondements de cette même République, Blum réprouve dans ces pages la remise en cause par De Gaulle des institutions parlementaires - alors même que ses propres députés gaullistes entravent les débats à l'assemblée. Il oppose au discours catastrophiste du général une vision optimiste de la reconstruction européenne et internationale, persuadé de la grande résilience de la nation française et confiant en ses institutions.
« Chose curieuse, c'est la presse gaulliste qui attendait le discours de Compiègne avec la curiosité et l'impatience la plus marquées. [...] En fin de compte, le discours de Compiègne n'a apporté rien de neuf. Il a fait entendre que toutes ses mesures étaient arrêtées, et que sans doute aussi ses hommes étaient choisis. Il a déclaré que la situation était trop critique, en France, en Europe et dans le monde, pour permettre qu'on différât davantage. Mais il a persisté cependant à affirmer - c'est du moins ainsi que j'interprète un texte volontairement obscur [biffé : ambigu] - qu'il ne gouvernerait pas dans le cadre des institutions présentes [biffé : anciennes], et qu'il n'accepterait qu'un pouvoir taillé à sa mesure [...] Rien de bon ne peut en sortir, a-t-il conclu ; il n'est que temps de tirer la France de ce marécage pour l'installer sur le sol ferme et salubre de l'Etat fort.
Tout cela va fort bien. Seulement à l'heure même où le général prononçait contre les partis et les institutions parlementaires le réquisitoire altier, l'Assemblée nationale siégeait au Palais Bourbon. Elle promouvait l'examen des propositions relatives au prélèvement René Mayer. Et là, on voyait la coalition du parti gaulliste, avec ces mêmes « séparatistes » que le discours de Compiègne dénonçait comme des traîtres, s'étaler avec une impudence plus scandaleuse de jamais [...] Dénoncer l'impuissance parlementaire tout en l'organisant, stigmatiser la malfaisance et l'immoralité des partis tout en en fournissant l'exemple éhonté, c'est une attitude commode, mais qui brave par trop violemment le bon sens et l'honnêteté.
[...]
Certes, la situation intérieure est sérieuse, et la situation internationale ne l'est pas moins. Mais le redoutable hiver s'achève, le ravitaillement s'améliore. La tendance s'améliore vers la baisse des produits alimentaires s'accentue et s'accentuera dès que le courant parti des Etats-Unis aura atteint l'Europe. A Londres, pour la première fois, des possibilités d'accord sont apparues pour les problèmes allemands, même sur les Réparations, comme j'essaierai de le montrer à Charles Ronsac. A Bruxelles, Grande-Bretagne, France et Bénélux organisent la première cellule de la Fédération des Etats Européens. A Paris, dans quelques jours, les seize nations adhérentes au plan Marshall - qui sera voté avant la fin d'avril, sans restrictions graves ni conditions inapplicables - poseront les bases et étudieront les moyens de la planification économique européenne. Il n'y a qu'à persévérer dans cet effort dont les premiers résultats sont déjà tangibles. Le pays se sauvera lui-même. Il se sauvera par sa confiance en lui-même et par son courage. Il sauvera la Liberté. Il sauvera la Paix."
« Chose curieuse, c'est la presse gaulliste qui attendait le discours de Compiègne avec la curiosité et l'impatience la plus marquées. [...] En fin de compte, le discours de Compiègne n'a apporté rien de neuf. Il a fait entendre que toutes ses mesures étaient arrêtées, et que sans doute aussi ses hommes étaient choisis. Il a déclaré que la situation était trop critique, en France, en Europe et dans le monde, pour permettre qu'on différât davantage. Mais il a persisté cependant à affirmer - c'est du moins ainsi que j'interprète un texte volontairement obscur [biffé : ambigu] - qu'il ne gouvernerait pas dans le cadre des institutions présentes [biffé : anciennes], et qu'il n'accepterait qu'un pouvoir taillé à sa mesure [...] Rien de bon ne peut en sortir, a-t-il conclu ; il n'est que temps de tirer la France de ce marécage pour l'installer sur le sol ferme et salubre de l'Etat fort.
Tout cela va fort bien. Seulement à l'heure même où le général prononçait contre les partis et les institutions parlementaires le réquisitoire altier, l'Assemblée nationale siégeait au Palais Bourbon. Elle promouvait l'examen des propositions relatives au prélèvement René Mayer. Et là, on voyait la coalition du parti gaulliste, avec ces mêmes « séparatistes » que le discours de Compiègne dénonçait comme des traîtres, s'étaler avec une impudence plus scandaleuse de jamais [...] Dénoncer l'impuissance parlementaire tout en l'organisant, stigmatiser la malfaisance et l'immoralité des partis tout en en fournissant l'exemple éhonté, c'est une attitude commode, mais qui brave par trop violemment le bon sens et l'honnêteté.
[...]
Certes, la situation intérieure est sérieuse, et la situation internationale ne l'est pas moins. Mais le redoutable hiver s'achève, le ravitaillement s'améliore. La tendance s'améliore vers la baisse des produits alimentaires s'accentue et s'accentuera dès que le courant parti des Etats-Unis aura atteint l'Europe. A Londres, pour la première fois, des possibilités d'accord sont apparues pour les problèmes allemands, même sur les Réparations, comme j'essaierai de le montrer à Charles Ronsac. A Bruxelles, Grande-Bretagne, France et Bénélux organisent la première cellule de la Fédération des Etats Européens. A Paris, dans quelques jours, les seize nations adhérentes au plan Marshall - qui sera voté avant la fin d'avril, sans restrictions graves ni conditions inapplicables - poseront les bases et étudieront les moyens de la planification économique européenne. Il n'y a qu'à persévérer dans cet effort dont les premiers résultats sont déjà tangibles. Le pays se sauvera lui-même. Il se sauvera par sa confiance en lui-même et par son courage. Il sauvera la Liberté. Il sauvera la Paix."