Les rares dessins passés en vente sont essentiellement figuratifs (femmes et études anatomiques), mais les travaux préparatoires à ses sculptures sont d'une excessive rareté.
Nous avons soumis au docteur Doïna Lemny, conservatrice honoraire du Musée National d'Art Moderne où elle eut la charge du fonds Brâncu?i durant trente années, et autrice de nombreuses monographies et essais sur l'artiste, cette œuvre inédite qu'elle a pu authentifier et dater avec précision :
« Ce petit dessin tracé à l'encre d'une main rapide sur un papier de petites dimensions interpelle par la nouveauté de la composition de formes géométriques : deux cubes superposés supportant une tête ovale encadrée dans un carré acquièrent une posture de cariatide soutenant une architrave, clairement dessinée en haut de la figure. Le tracé rapide et ferme indique l'intention de l'artiste de noter des éléments pour une composition plus complexe qu'il aurait eu l'intention de réaliser. »
Bien que non daté, ce dessin peut être rapproché de deux autres compositions similaires réalisées le 3 novembre 1937. Le premier, de même dimension (9 x 13 cm), porte le titre Eva et est enrichi au verso d'un dessin du Baiser et d'un message adressé à Ion Alexandrescu. Le deuxième est, quant à lui, d'un format supérieur (22 x 32 cm) et présente la même composition que notre dessin avec des proportions évoquant plus explicitement une silhouette féminine (voir ci-contre). Sur ces deux autres dessins, Brâncu?i indique les matériaux qu'il envisage d'utiliser pour ce futur ensemble de sculptures : du bois (en roumain : lemn) et du plâtre (gips).
Le dessin que nous proposons ne comporte pas de titre ni d'indication des matériaux, mais s'inscrit dans la recherche plastique des deux autres compositions, et pourrait être une stylisation du dessin original pour un projet de sculpture plus abstraite.
L'intérêt pour cette figure féminine biblique traversa la carrière artistique de Brâncu?i. Dès 1916, il sculpte une figure en bois africanisante toute en courbes à laquelle il donne pour titre ève. La retravaillant, il réalise finalement, en 1921, une sculpture plus totémique : Adam et Ève. Œuvre « construite », Adam et Ève annonçait déjà l'intention de Brâncu?i de reprendre la thématique de la femme originelle, mère et protectrice qui se trouve ici émondée des attributs masculins et devenue élévation de formes premières et matricielles, le bloc, l'œuf et le plan.
Provenance : collection du tailleur de pierre Ion Alexandrescu, ami et proche collaborateur du sculpteur roumain.
Pour plus de détails et d'éléments sur le travail de l'artiste, nous renvoyons aux nombreux ouvrages publiés par Doïna Lemny 1 : Le Milieu artistique et culturel de Brâncu?i : essai d'investigation à partir du legs au Musée national d'art moderne (1998, thèse soutenue en 1997), Constantin Brâncu?i 2005 Brâncu?i : au-delà de toutes les frontières (2012), Brâncu?i (2012, monographie pour la rétrospective au Centre Pompidou), Correspondance Duchamp-Brâncu?i (2017) Brâncu?i : la sublimation de la forme) catalogue de l'exposition de Bruxelles 2019-2020 sous la direction de Doïna Lemny), Constantin Brâncu?i, en quête de la chose vraie (à paraître)
1. Nous remercions Madame Lemny d'avoir aimablement confirmé
l'authenticité de cette œuvre et de nous avoir aidé à réaliser cette notice.