Reliure réalisée à la demande de Luis Buñuel en plein cartonnage recouvert de papier rouge, dos lisse orné de filets et du titre argentés, couverture conservée présentant un collage issu de journaux formant le titre du film.
Une petite mouillure sur la tranche, sans gravité.
Adapté du roman de l'écrivain anarchisant Octave Mirbeau, le Journal d'une femme de chambre raconte l'histoire de Célestine (Jeanne Moreau), soubrette cynique débarquant dans une famille bourgeoise composée de personnages hauts en couleurs. Dans la maison du vice, se côtoient M. Rabour (Jean Ozenne), ancien cordonnier fétichiste, sa fille Mme Monteil (Françoise Lugagne), mégère maniaque et frigide, M. Monteil (Michel Piccoli) le mari satyriasique de celle-ci. Des domestiques viennent compléter cette galerie de portraits, notamment Marianne (Muni), servante simple d'esprit et surtout Joseph (Georges Géret), un palefrenier rustre, activiste d'extrême droite, aux tendances sadiques et racistes. Buñuel décale l'intrigue du roman de trente ans afin de conférer à son film une dimension politique lui permettant de faire un pied de nez à la société conservatrice française qui condamna, trois décennies plus tôt, son cinéma subversif.
Important tapuscrit inédit, outil de travail personnel de Luis Buñuel, montrant la complexité avec laquelle le cinéaste préparait, en amont, son tournage.
Ce script unique présente un nombre important d'annotations de la main de Luis Buñuel, notamment de très nombreuses flèches dans la marge gauche. Ces flèches, à l'instar des plans au sol d'implantation caméra esquissés en regard du texte, retranscrivent les mouvements de caméra et montrent la minutie et la rigueur avec lesquelles Luis Buñuel a anticipé la réalisation. Notre tapuscrit présente en outre un impressionnant dessin de la main de Luis Buñuel figurant un plan de la dispute entre M. Monteil et son voisin : la ressemblance entre les personnages et leurs interprètes y est frappante, notamment Michel Piccoli, et on retrouve le plan transposé à l'exactitude dans le film.
Le tapuscrit comporte également un certain nombre de scènes et dialogues que le cinéaste a barrés et qui ne seront pas tournés. C'est le cas notamment d'une partie de la mythique scène fétichiste des bottines, dans laquelle le vieux Rabour demande à Célestine de marcher en exhibant ses chaussures - ladite démarche fut d'ailleurs le paramètre de recrutement de Jeanne Moreau que Buñuel avait remarqué dans Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle. Dans le scénario, un dialogue prévoyait que la docile servante garde le silence durant ce rituel, conférant à celui-ci une dimension sacrée : cette condition sera tout à fait éludée au tournage. De même, l'ordre d'une autre scène concernant les fantasmatiques bottines est modifié : Buñuel a sans doute entre temps réfléchi au sens de cet instant charnière et décidé de ménager un certain suspense pour son spectateur. Notons par ailleurs que même la pointure de Célestine évoluera entre le scénario et le tournage.
Le scénario fait apparaître de multiples changements de directions artistique et politique. Ainsi, sous la direction de Luis Buñuel, Jeanne Moreau métamorphose la soubrette discrète et soumise du scénario original, en une femme envoûtante, captivant le regard du spectateur. Dès le générique de début, initialement plus étendu, Buñuel fera le choix de mettre l'accent sur la toute première apparition de Célestine. Dès lors, si les plans de certaines scènes sont calculés au millimètre près dès le scénario, le plan de coupe se verra considérablement modifié. Mais le Journal d'une femme de chambre est également un brûlot politique dont le cinéaste engagé va façonner les effets jusqu'au dernier instant. S'il édulcore parfois certains éléments - l'anonyme Richard du film s'appelait en fait Maurras - ce n'est que pour mieux frapper les esprits en retardant l'explosion. Alors que le scénario s'achève par la courte description d'une « manifestation de droite qui s'avance dans la rue » constituée de « quelques ouvriers mais surtout des bourgeois », Buñuel ajoute au tournage un crieur de journaux qui distribue l'Action française. Il donne ainsi un visage politique à la violence sociale latente du film.
Cette fin cynique, en marge de l'histoire principale, révèle les véritables intentions du cinéaste qui n'échapperont pas à la critique : « Le Journal d'une femme de chambre est un chapitre, parmi tant d'autres, d'un réquisitoire dont l'exorde fut prononcé, voilà bientôt trente-cinq ans, avec L'Âge d'or. Aujourd'hui comme hier Buñuel s'en donne à cœur joie. Il n'y va pas de main morte. Il cogne dur. Et il fait mouche. [...] Buñuel évolue avec une souveraine maîtrise. Son humour cruel, sa férocité joyeuse, nous ravissent. L'audace de certaines scènes est tempérée par le tact et l'habileté de la réalisation. Ce qui ne peut être dit ou montré est suggéré avec une désinvolture pleine d'ironie. Conduit au pas de charge le récit ne connaît ni temps mort ni transition inutile. Nous sommes au jeu de massacre et chaque coup va droit au but. » (Jean de Baroncelli, Le Monde, 7 mars 1964)
Unique tapuscrit de Luis Buñuel révélant les multiples étapes et la minutieuse genèse de l'œuvre.
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