Publié en 1852 sous le titre « L'Art et l'Amour », daté de 1846, dans Ce qui est dans le cœur des femmes : Poésies nouvelles. Cette version manuscrite, au titre différent, présente un vers et quelques mots inédits.
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Superbe cri du cœur de Louise Colet qui met en vers les conceptions - de la vie, de l'amour, de l'art - qui l'opposent à son amant Gustave Flaubert, témoignant des premiers émois de leur relation tumultueuse. Ecrit peu de temps après leur rencontre le 29 juillet 1846, le poème est une réponse enflammée à une lettre de Flaubert du 2 septembre « Oh ! va, aime plutôt l'Art que moi » à laquelle son premier vers fait explicitement référence :
« Tu me dis : Aime l'art, il vaut mieux que l'amour
[...]
Et moi. je te réponds : La langue du poête
Ne rend du sentiment que l'image incomplète ».
« Des maîtres les plus grands les œuvres les plus belles,
Auprès du beau vivant, compare, que sont-elles ? »
Tu me dis : Aime l'art, il vaut mieux que l'amour ;
Tout sentiment s'altère et doit périr un jour !
Pour que le cœur devienne une immortelle chose,
Il faut qu'en poésie il se métamorphose,
Et que chaque pensée en sorte incessamment,
En parant sa beauté d'un divin vêtement.
Sentir, c'est aspirer!... c'est encor la souffrance ;
Mais créer, c'est jouir, ! c'est prouver sa puissance ;
C'est faire triompher de la mort, de l'oubli,
Toutes les passions dont l'âme a tressailli!
Et moi. je te réponds : La langue du poête
Ne rend du sentiment que l'image incomplète ;
Concevoir le désir, goûter la passion,
Nous fait dédaigner l'art et sa création ;
Formuler les pensers dont notre esprit s'enivre,
Ce n'est que simuler la vie : aimer, c'est vivre ; !
C'est incarner le rêve, et sentir les transports
Dont l'art ne peut donner que des emblèmes morts !
Des maîtres les plus grands les œuvres les plus belles,
Auprès du beau vivant, compare, que sont-elles?
Corrége et le Poussin, Titien et Raphaël,
Rubens, dont la palette est prise à l'arc-en-ciel,
Éblouissant nos yeux, ont groupé sur leurs toiles
Des visages divins et de beaux corps sans voiles !
Mais hier, quand soudain à nos regards charmés
Ces tableaux immortels se trouvaient animés,
Lorsqu'au lieu de la chair que la couleur imite,
Nous avons admiré cette chair qui palpite,
Où le sang, à travers l'épiderme soyeux,
Circule en répandant des reflets lumineux ;
Lorsque nous avons vu d'exquises créatures,
Dont les beaux torses nus, les bras aux lignes pures,
Le sein ferme et mouvant, le visage inspiré,
Faisaient vivre à nos yeux quelque groupe sacré,
Oh ! n'as-tu pas senti quelle impuissante envie
C'est de vouloir dans l'art inoculer la vie
Et ne t'es-tu pas dit, du réel t'enivrant :
La beauté seule est belle, et l'amour seul est grand !
« Tu me dis : Aime l'art, il vaut mieux que l'amour
[...]
Et moi. je te réponds : La langue du poête
Ne rend du sentiment que l'image incomplète ».
« Des maîtres les plus grands les œuvres les plus belles,
Auprès du beau vivant, compare, que sont-elles ? »
Tu me dis : Aime l'art, il vaut mieux que l'amour ;
Tout sentiment s'altère et doit périr un jour !
Pour que le cœur devienne une immortelle chose,
Il faut qu'en poésie il se métamorphose,
Et que chaque pensée en sorte incessamment,
En parant sa beauté d'un divin vêtement.
Sentir, c'est aspirer!... c'est encor la souffrance ;
Mais créer, c'est jouir, ! c'est prouver sa puissance ;
C'est faire triompher de la mort, de l'oubli,
Toutes les passions dont l'âme a tressailli!
Et moi. je te réponds : La langue du poête
Ne rend du sentiment que l'image incomplète ;
Concevoir le désir, goûter la passion,
Nous fait dédaigner l'art et sa création ;
Formuler les pensers dont notre esprit s'enivre,
Ce n'est que simuler la vie : aimer, c'est vivre ; !
C'est incarner le rêve, et sentir les transports
Dont l'art ne peut donner que des emblèmes morts !
Des maîtres les plus grands les œuvres les plus belles,
Auprès du beau vivant, compare, que sont-elles?
Corrége et le Poussin, Titien et Raphaël,
Rubens, dont la palette est prise à l'arc-en-ciel,
Éblouissant nos yeux, ont groupé sur leurs toiles
Des visages divins et de beaux corps sans voiles !
Mais hier, quand soudain à nos regards charmés
Ces tableaux immortels se trouvaient animés,
Lorsqu'au lieu de la chair que la couleur imite,
Nous avons admiré cette chair qui palpite,
Où le sang, à travers l'épiderme soyeux,
Circule en répandant des reflets lumineux ;
Lorsque nous avons vu d'exquises créatures,
Dont les beaux torses nus, les bras aux lignes pures,
Le sein ferme et mouvant, le visage inspiré,
Faisaient vivre à nos yeux quelque groupe sacré,
Oh ! n'as-tu pas senti quelle impuissante envie
C'est de vouloir dans l'art inoculer la vie
Et ne t'es-tu pas dit, du réel t'enivrant :
La beauté seule est belle, et l'amour seul est grand !