Une page autographe recto-verso écrite à l'encre noire, sans date.
Ébauche manuscrite inédite d'une scène de théâtre de Jean-Paul Sartre vraisemblablement inachevée, qui demande encore à être placée au sein de l'œuvre dramatique de l'écrivain. La scène prend la forme d'un dialogue satirique sur la noblesse de l'Ancien régime et comporte une longue didascalie introductive.
Cet extrait théâtral semble reprendre le thème de la visite aux Enfers et rappelle un célèbre passage de Virgile, la catabase d'Enée visitant ses ancêtres défunts. Un personnage principal nommé Pierre prend le rôle de spectateur d'un dialogue entre une série de protagonistes ayant vécu à différents âges de l'Histoire de France. Une didascalie au début nous renseigne sur les personnages, représentants de la noblesse de l'Ancien régime qui accompagnent et vilipendent deux de leurs descendants encore vivants :
« Deux rejetons misérables sont suivis par toute une ascendance noble (marquis du XVIIIe, Seigneurs du XVIe en pourpoint, chevaliers du Moyen Âge avec armure). »
Cette descente dans le tombeau de la noblesse française est teintée d'ironie et d'absurde, les aïeuls poursuivent leurs descendants et s'offusquent de leur manque de sérieux :
« Le Chevalier
Ce sont les deux misérables rejetons vivants de notre noble lignage. La race s'éteindra avec eux. Est-ce que vous pensez que c'est pour ça que j'ai abattu tant de Sarrasins de ma main ?
[...]
Le Mousquetaire
Et que j'ai eu, moi, quatorze duels ?
Le Vieillard
Et que j'ai émigré à Coblence ? »
En quelques répliques, Sartre déconstruit la mystique de l'ordre privilégié et de la conscience de classe. Au travers du dialogue, les deux descendants vivants de la noblesse – qui gardent le silence – semblent oublier leurs obligations nobiliaires qui faisaient d'eux des sujets contraints à l'histoire de leur lignage. La scène s'achève sur des paroles sibyllines :
« Pierre
Mais s'ils vous dégoûtent tant que ça qu'est-ce que vous avez besoin d'être tout le temps derrière eux ?
Le Chevalier
[...] nous attendons qu'ils soient morts pour pouvoir les engueuler. »