Edition originale à la couverture souple illustrée, comportant bien la "marque au corbeau" caractéristique des premiers tirages. Exemplaire comportant une mention de "second printing" imprimé quelques mois après la première émission. Les exemplaires souples et rigides furent publiés simultanément.
Rare et bel exemplaire de l'édition originale publiée à New-York par les éditeurs de Mary Poppins, Reynal & Hitchcock, simultanément en Français et en traduction anglaise.
« Les contes de fées c'est comme ça. Un matin on se réveille. On dit : "ce n'était qu'un conte de fées..." On sourit de soi. Mais au fond on ne sourit guère. On sait bien que les contes de fées c'est la seule vérité de la vie. » (Saint-Exupéry, Lettre à l'inconnue, mai 1943)
Conte universel s'il en est - Le Petit Prince est l'œuvre la plus traduite après la Bible -, cet hymne au voyage, à l'amitié et à l'enfance fut dès l'origine considéré comme un roman à clefs, offrant, sous couvert d'un récit pour enfants, un regard profond sur l'actualité tragique et révélant chez l'auteur une philosophie plus complexe que ne lui prêtaient alors ses détracteurs.
Si l'on ne sait avec exactitude quelle est la genèse de ce personnage - la lecture d'Andersen par l'actrice Annabella, la boîte d'aquarelle offerte par le réalisateur René Clair, une idée de son éditrice Elisabeth Reynal ou simplement la mémoire de son frère disparu - l'écriture du conte lui-même fut très fortement influencée par la guerre, l'exil et les relations difficiles de Saint-Exupéry avec les autorités de la Résistance.
Démobilisé en 1940, l'écrivain plébiscité en 1939 pour Terre des hommes, se réfugie à New-York où il écrit et publie en février 1942 Pilote de guerre, relatant, à l'attention de l'opinion publique américaine, le courage des soldats français malgré l'inéluctable défaite. Trop philosémite pour les uns et trop défaitiste pour les autres, ce récit, rapidement interdit en France, lui vaudra l'inimitié des pétainistes mais également des gaullistes qui le contraignent à l'inaction tandis que l'Afrique du Nord reconquise par les Alliés ouvre des perspectives de reprise du combat armé.
Malgré une vie sentimentale et sociale intense, c'est dans un sentiment de profonde solitude et d'incompréhension que Saint-Exupéry compose, durant l'année 1942, Le Petit Prince pour ses éditeurs new-yorkais qui viennent de publier Mary Poppins, Eugene Reynal & Curtice Hitchcock.
à la fin 1942, Saint-Exupéry accentuera encore cette animosité en diffusant à la radio puis en publiant sa Lettre aux Français appelant à l'unité entre les Français de France et les expatriés contre le nazisme. Son incitation à la réconciliation pour une lutte unie et sans concession contre l'ennemi commun, son refus de juger le choix des hommes oppressés et sa critique implicite des luttes de pouvoir entre les combattants, dresse irrémédiablement contre lui les partisans de de Gaulle qui sont alors en rivalité avec ceux du Général Giraud.
Jugé d'une tolérance excessive, ce message radiophonique suscite de très fortes accusations dont celle d'un écrivain cher à Saint-Exupéry, le philosophe et théologien Jacques Maritain. Ces violents anathèmes à l'égard de l'écrivain masquent à ses contemporains la profonde intimité qu'entretiennent pourtant cet appel adressé aux adultes et le conte destiné aux enfants qui paraîtra quelques mois plus tard.
L'exil forcé loin de sa terre « perdue quelque part dans la nuit, tous feux éteints, comme un navire », cette France qu'il faut « sauver [...] dans son esprit et dans sa chair », l'absurdité des hommes qui se déchirent, jusque dans le combat commun, et cette double question : « Que vaut l'héritage spirituel s'il n'est plus d'héritiers ? À quoi sert l'héritier si l'Esprit est mort ? » de sa Lettre aux Français sont autant de thèmes développés dans ce qui sera le dernier et le plus important de tous ses livres, Le Petit Prince, « ce petit livre [écrit] seulement pour des amis qui peuvent le comprendre ». Ceux-là ne manqueront pas de lire le conte à la lumière du manifeste et sauront reconnaître dans la sagesse du Renard avertissant le Petit Prince : « le langage est source de malentendu » l'écho presque parfait du combattant s'adressant à ses compatriotes : « le langage est un instrument imparfait ».
Inspiré d'un personnage enfantin que Saint-Exupéry crayonne en marge de ses lettres et carnets et qui était à l'origine un autoportrait, le Petit Prince est tout autant une fable poétique qu'un testament philosophique. En ce sens la mort de l'enfant, héros du conte, qu'au grand dam de ses éditeurs Saint-Exupéry refuse de supprimer, ne saurait être étrangère à l'opiniâtreté de celui-ci à se précipiter vers sa fin héroïque et absurde.