Placard autographe manuscrit de l'abbé Raynal, en révision de sa célèbre Histoire philosophique et politique des établissements des Européens dans les deux Indes, l'un des ouvrages les plus remarquables de l'esprit des Lumières. Une demi page à l'encre noire sur un feuillet, quelques mots biffés. Marges légèrement brunies, étiquette numérotée du placard encollée en marge. Annotation au crayon en partie supérieure, ainsi qu'une autre à la plume de la main d'un précédent bibliographe à la suite du texte autographe.
Ce passionnant placard sur l'influence du climat sur les peuples est inédit à notre connaissance ; comme c'est le cas sur d'autres placards de Raynal, la pagination autographe "143" sur ce feuillet reprend sans doute celle de l'édition de Histoire parue en 1780, et indique que l'abbé voulait insérer le feuillet dans le onzième livre de son Histoire consacré aux possessions coloniales en Afrique (chapitre XVII, p. 143). Ce texte ne figure pas dans l'édition suivante de l'Histoire des deux Indes, publiée à titre posthume chez Amable Costes en 1820, révisée à partir des manuscrits de Raynal.
Dans ce manuscrit, Raynal développe un des thèmes récurrents de la philosophie politique au temps des Lumières : la théorie des climats. L'abbé y présente l'environnement naturel comme facteur déterminant de civilisation ou de barbarie, surpassant les lois et les gouvernements, façonnant le comportement des peuples et expliquant l'abondance ou la pauvreté de leurs productions matérielles et immatérielles. Le présent manuscrit est contemporain de cette affirmation de Rousseau extraite des Confessions : "les climats, les saisons, les couleurs, l'obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine et sur notre âme" et héritier de la pensée de Montesquieu, qui tient un discours très similaire dans L'Esprit des Lois.
"Dans quelque partie du globe que l'homme habite, le climat exerce une influence irrésistible sur son état et son caractère . Dans les pays qui approchent davantage les extrêmes de la chaleur et du froid, cette influence est si sensible qu'elle frappe tous les yeux.
Soit que nous considérons l'homme simplement comme un animal ou comme un être de faculté intellectuelle qui le rendent propre à agir et à méditer, nous trouverons que c'est dans les régions tempérées de la terre qu'il a constamment acquis la plus grande perfection dont la nature soit susceptible ; c'est là que sa constitution est la plus rigoureuse, sa forme plus belle, ses organes plus délicats. C'est là aussi qu'il possède une intelligence plus étendue, une imagination plus féconde, un courage plus entreprenant et une sensibilité d'âme qui donne naissance à des passions non seulement ardentes mais durables. C'est dans cette situation favorable qu'on l'a vu déployer les plus grands efforts de son génie dans la littérature, dans la politique, dans le commerce, et dans tous les arts qui embellissent et perfectionnent la vie.
Cette puissance du climat se fait sentir plus fortement chez les natures sauvages et produit de plus grands effets que dans les sociétés policées. Les talents des hommes servent continuellement à rendre leurs conditions plus douces. Par leurs inventions et leurs industries, ils viennent à bout de remédier en grande partie aux défauts et aux inconvénients de toutes les températures, mais le sauvage dénué de prévoyance est affecté par toutes les circonstances propres aux lieux où il vit. Il ne prend aucune précaution pour améliorer sa situation. Semblable à une plante ou un animal, il est modifié par le climat pour lequel il est né, et en éprouve l'influence dans toute sa force."
Une exceptionnelle addition, probablement inédite, au travail idéologique de l'abbé Raynal, destinée à enrichir sa vaste et influente histoire du commerce international au XVIIIe siècle.