Lettre citée dans Maurice Lever, Donatien Alphonse François, marquis de Sade, Paris, Fayard, 1991, p. 631.
Le 7 mars 1801, Armand de Sade, le fils du Marquis, reçoit une lettre du ministre de la police Joseph Fouché, qui lui notifie que son père a été arrêté hier et qu'on a trouvé sur lui des pages manuscrites du roman La nouvelle Justine : "Néanmoins, sensible à votre demande de mansuétude et ayant à cœur de préserver l'honneur de votre nom, j'ai pris la décision de faire transférer votre père dans la maison de santé de Charenton..." On notera que pour Fouché, Charenton, asile d'aliénés, n'est qu'une maison de santé, une prison, et en effet, il ne faudrait pas oublier qu'une grande partie de la population de ces asiles n'étaient autre que des individus qui ne rentraient pas dans le champ social et moral et la psychiatrie n'a longtemps eu d'autre but que celui de normaliser, de rendre apte à la vie sociale. Contrairement a ce qui a été dit, Sade y a parfaitement sa place. Cependant, l'attitude de Sade le fera, sitôt entré à Charenton, expulser à Bicêtre (la Bastille des canailles), mais sa famille réussira là encore à le réintégrer à l'asile de Charenton. L'enfermement à Charenton sera non seulement la dernière incarcération du Marquis de Sade, mais son dernier lieu de vie, puisqu'il y trouva la mort en 1814.
Les 19 lignes scrupuleusement biffées au dos laissent apparaître quelques mots ou lettres ; à cet égard on peut conjecturer qu'il s'agit d'un message codé dont Sade était assez friand, car à supposer que la censure fût à l'origine de ces ratures, absolument tout l'aurait été, or le message montre bien que presque tout a été consciencieusement biffé hormis quelques mots ou lettres. On peut ainsi retenir : Nécessaire, à tous, ger, ue, quel, je trouve, de...
Quant à la lettre elle-même, elle est remarquable par l'homogéneité de son message. Il s'agit d'une longue plainte décrivant les maux physiques dont Sade est victime. C'est un compte rendu comptable de la somme des symptômes qui accablent l'écrivain. Dans un style hyperbolique usant entre autres figures de style des adverbes d'intensité (si, tel, très...), Sade égrène méthodiquement les violentes douleurs dont son corps est secoué, l'ensemble de ces violences étant constitué en système, en structure dont toutes les parties sont liées. Dans la correspondance de l'écrivain, on peut dire que chaque fois que ce dernier s'est trouvé incarcéré, ses lettres font mention d'attaques physiques incontrôlables même si on ne connaît pas d'autre lettre aussi uniforme et systématique. A l'enfermement répond un langage du corps pour le moins volubile, la douleur prenant naissance au creux de l'estomac pour irradier vers la périphérie : tête, yeux, jambes, l'ensemble convergeant vers un vertige, la perte d'équilibre... car c'est de cela qu'il s'agit, Sade n'est atteint d'aucune maladie, il est assiégé par l'angoisse dont le sens ultime est le vertige, le vacillement d'une réalité où lui sont retranchés sa liberté de vivre à sa guise, sa liberté de déplacement, et son nom. La perte de ces éléments fondamentaux pour son existence font de Sade un navire dans la tourmente. En outre, et quant à la formation de ces symtômes particuliers, si l'on considère que l'accomplissement d'un certain sadisme sexuel lui est nécessaire, la privation de cette satisfaction retourne sur lui-même cette pulsion sadique, qui devient masochiste. L'impossibilité d'extérioriser la destructivité qui l'habite, ne serait-ce que par la volonté, fait de son propre corps le siège torturé, Sade devenant à la fois agent et victime de son propre sadisme.
Remarquable missive où s'exprime l'abattement total de l'écrivain, Sade semblant se réduire aux assauts de l'angoisse, bien que ce dernier en fasse tout de même un objet d'écriture.">
Original autograph letter by the Marquis de Sade, consists of 27 lines of relatively tight handwriting. Most likely written to his wife, as evidenced by the letter's origin from Sade's family. The letter is physically composed of two glued pieces of paper. On the verso the Marquis wrote 19 lines and scrupulously crossed them out - a few words and letters are still quite visible.
Cited in Maurice Lever's biography, 'Donatien Alphonse François, marquis de Sade', Paris, Fayard, 1991, p. 631.
On March 7, 1801, Armand de Sade, the Marquis's son, received a letter from the Minister of Police, Joseph Fouché, notifying him that his father had been arrested yesterday, and that handwritten pages from the novel 'La nouvelle Justine' [Justine, or the Misfortunes of Virtue] had been found on his person: “Nevertheless, sensitive to your request for leniency and concerned to preserve the honor of your name, I have decided to have your father transferred to the Charenton nursing home...”. It should be noted that, for Fouché, Charenton, an insane asylum, was nothing more than a nursing home, a prison. It should not be forgotten that a large proportion of the population of these asylums did not fit into the social and moral field, and psychiatry has long had no other aim than to normalize, to make them fit for social life. Contrary to what has been said, Sade fits in perfectly. However, as soon as he entered Charenton, Sade's attitude led to his expulsion to Bicêtre (the Bastille of scoundrels), but his family succeeded in getting him back into the Charenton asylum. Charenton was not only the Marquis de Sade's last incarceration, but also the last place he lived in, where he died in 1814.
The 19 lines scrupulously crossed out on the back of the leaf reveal a few words or letters; in this respect, we can conjecture that it's a coded message, which Sade was quite fond of, for if censorship had been behind these erasures, absolutely everything would have been, yet the message clearly shows that almost everything has been conscientiously crossed out apart from a few words or letters. We can still make out a few of them: 'Nécessaire', 'à tous', 'ger', 'ue', 'quel', 'je trouve', 'de'...
As for the letter itself, it is remarkable for the homogeneity of its message. It is a lengthy complaint describing the physical ailments Sade has suffered. It is an account of the sum total of the symptoms that overwhelm the writer. In a hyperbolic style, using, among other figures of speech, adverbs of intensity (si, tel, très...), Sade methodically spells out the violent pains his body is suffering, with the whole of this violence constituting a system, a structure in which all the parts are linked. In the writer's correspondence, it can be said that each time he found himself incarcerated, his letters mention uncontrollable physical attacks, although we know of no other letter so uniform and systematic.The pain originates in the pit of the stomach, radiating out to the periphery: head, eyes, legs, all converging on vertigo, loss of balance...
...because that's what it's all about: Sade isn't suffering from any illness, he's besieged by anguish whose ultimate meaning is vertigo, the wavering of a reality from which his freedom to live as he pleases, his freedom of movement, and his name have been taken away. The loss of these fundamental elements of his existence sends Sade in turmoil. In addition, and as regards the formation of these particular symtoms, if we consider that the fulfillment of a certain sexual sadism is necessary to him, the deprivation of this satisfaction turns this sadistic drive on itself, which becomes masochistic. The impossibility of externalizing the destructiveness that inhabits him, even if only through willpower, makes his own body the tortured seat, with Sade becoming both agent and victim of his own sadism.
Remarkable letter by the Marquis de Sade, written from the Charenton asylum. The Marquis seems to be reduced to the assaults of anguish, which beautifully transpires in his words.